vendredi 18 octobre 2024

Débat : Laïcité à l’école, des impasses historiques /Laïcité : les mémoires de la loi de séparation de 1905 à l’école

 

                   



Dans une lettre adressée au Président de la République le 4 février 2020, le président du parti Les Républicains, Christian Jacob, renouvelle sa demande, formulée en novembre 2019, d’« un acte II de la laïcité en référence à l’initiative prise par Jacques Chirac en 2003 lorsqu’il avait installé la commission présidée par Bernard Stasi ».

Cette commission, rappelons-le, avait débouché sur la loi de 2004, et l’interdiction dans les établissements scolaires des signes manifestant une appartenance religieuse.

Il s’agit de lancer « une réflexion approfondie sur la mise en œuvre du principe de laïcité dans la société française », assure Christian Jacob. Mais où en est-on vraiment dans ce dossier si complexe, voire explosif ? La laïcité est en proie à une valse des métaphores (qu’on la qualifie de « ferme » ou « souple », « ouverte » ou « intransigeante ») qui relève davantage de la posture que d’une pensée rationnelle et cohérente.

Or, ce qui est profondément sous-jacent, c’est souvent la perte de vue du principe de non-contradiction. Une perspective historique nous montre que les incohérences perdurent, et peuvent même s’accroître dans un certain aveuglement. S’il n’est sans doute pas facile de les réduire, encore convient-il de ne pas les ignorer, au risque d’aggraver les incompréhensions.

Exceptions à la loi de 1905

Il est étrange que l’on puisse envisager d’aller « plus loin » dans la séparation des Églises et de l’État instituée par la loi de 1905, alors même que des enseignements religieux sont dispensés dans les écoles publiques de trois départements.

En effet, lorsque la loi de 1905 a été adoptée, l’Alsace-Lorraine était alors annexée à l’empire allemand. Lorsqu’elle est redevenue française, en 1918, c’est le régime du Concordat adopté en 1802 qui y a été maintenu. Le gouvernement du Bloc des gauches a tenté en 1924 de l’y supprimer, mais a échoué. La situation n’a plus évolué depuis un siècle, signe qu’il est sans doute difficile de sortir de cette impasse historique.

On peut à cet égard rappeler le pas de clerc de François Hollande à l’élection présidentielle. Fin 2011, il dit vouloir « constitutionnaliser » la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État. Mais les vives réactions rencontrées le conduisent à préciser le 26 janvier 2012 que cette mesure s’appliquerait « sous réserve des règles particulières en Alsace et Moselle »… En tout état de cause, cette incohérence montre que la logique et le souci de cohérence en prennent beaucoup à leur aise.


https://youtu.be/XUAfDYFZMQg

INA, reportage de 1989 sur l’exception alsacienne à la loi de 1905.

Loi Debré et financements

La mise en place de la loi Debré de 1959 offre des aspects du même ordre. Avec cette loi, les écoles privées peuvent conclure des contrats avec l’État : elles s’engagent alors à suivre les programmes en vigueur dans l’enseignement public, en contrepartie de quoi leurs enseignants sont rémunérés par l’État, et les collectivités les soutiennent financièrement pour le fonctionnement de l’établissement.

Durant ces soixante dernières années, de nombreux dirigeants de gauche ont déclaré vouloir l’abroger, en considérant qu’elle permettait indirectement de financer certaines institutions religieuses. Cela a été le cas de Jean‑Luc Mélenchon lors des dernières présidentielles. En début de campagne, il a indiqué qu’il abrogerait « les lois Debré, Rocard et Carle qui portent sur le financement des écoles privées ». Cela répondant à sa conviction personnelle et à son souci d’attirer dans son sillage des électeurs de cette sensibilité.

En fin de campagne, lorsque les sondages l’ont amené à croire qu’il pouvait devenir le Chef de l’État, Jean‑Luc Mélenchon ne mettra plus l’accent que sur la loi Carle, beaucoup moins décisive que la loi Debré. Précisons que la loi Carle se focalise sur la prise en charge par les communes des dépenses de fonctionnement, et stipule notamment que

« si la commune de résidence ne dispose pas des capacités d’accueil nécessaires à la scolarisation de l’élève, la prise en charge de l’élève scolarisé dans une école élémentaire privée sous contrat d’association en dehors de la commune de résidence présente toujours un caractère obligatoire ».

Ce retournement peut très bien se comprendre lorsqu’on sait que plus de la moitié des familles utilisent de fait les deux secteurs pour leurs enfants et que les sondages indiquent régulièrement que les Français sont plus des trois quarts à se prononcer pour l’existence de ces deux secteurs, public et privé. Là encore, il s’agit d’une « impasse historique » dont il apparaît qu’il ne saurait sérieusement être question de sortir.


https://youtu.be/ynYTVMbX1jM

Retour sur la guerre scolaire des années 80 (INA, 1983).

Points d’interrogation

Ces observations ne signifient pas pour autant qu’il ne saurait être question d’interroger certaines des modalités d’application de la laïcité. On peut songer en particulier à l’application de la loi du 15 mars 2004 « sur le port des signes ou des tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics » qui n’est nullement obligatoire pour les établissements d’enseignement privés même sous contrat.

Certes, la loi Debré garantit à ces établissements privés sous contrat leur « caractère propre ». Mais il est affirmé à l’article premier de cette loi que « l’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect de la liberté de conscience ; tous les enfants, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance y ont accès ».

Ou bien la loi de 2004 n’est pas jugée nécessaire pour assurer la liberté de conscience dans les établissements privés sous contrat, et alors cette loi ne doit pas logiquement être jugée nécessaire pour les établissements d’enseignement publics. Ou bien la loi de 2004 est jugée nécessaire pour assurer au mieux la liberté de conscience dans les établissements d’enseignement publics, et il faut qu’elle soit aussi d’application obligatoire dans les établissements d’enseignement privés sous contrat.

Il est d’autant plus urgent de sortir de cette négation du principe de non-contradiction lorsque certains envisagent d’étendre le champ de la loi de 2004 et de tenir un « acte II de la laïcité ». Là encore, on doit mieux percevoir combien la perte de vue du principe de non-contradiction peut générer des sentiments d’injustices, avec leurs cortèges éventuels de violences

Auteur






                                             

Laïcité : les mémoires de la loi de séparation de 1905 à l’école


Cette contribution émane d’une communication prononcée lors d’un colloque sur les interactions et les tensions entre les mémoires individuelles et collectives dans le milieu scolaire, à l’ESPE Clermont Auvergne, sur l’initiative de Frédéric Dana, directeur adjoint de cette école.


« Par leurs réflexions et leurs activités, les élèves contribuent à faire vivre la laïcité au sein de leur établissement », souligne l’article 15 de la Charte de la laïcité à l’École, une magna carta désormais bien connue des enseignants et de leurs élèves. Depuis la rentrée 2013-2014 et son affichage dans les établissements d’enseignement, ce texte a donné lieu à de belles réalisations, comme l’édification d’escaliers de la laïcité ou la plantation de nouveaux arbres de la liberté dans les cités scolaires.

Un autre passage de la charte est tout aussi éloquent, il s’agit de la première phrase de l’article 2 : « la République laïque organise la séparation des religions et de l’État ». On renvoie ici à une séparation spéculative, certes, mais avant tout du registre de la pratique. Par souci de clarté, plutôt que le terme église est préféré celui de religions, par ailleurs au pluriel, une invitation au pluralisme religieux. Est enfin exprimé le lien entre la République laïque et l’école publique, un lieu de mise en œuvre et d’existence effective de la laïcité.

Dans les manuels scolaires

La seconde porte d’entrée sur les mémoires de 1905 consiste à aller rechercher la mention de la laïcité en général, et de la loi de séparation en particulier, dans les manuels scolaires. De manière générale dominent plus l’histoire que les mémoires, ce qui n’est pas une mauvaise chose car il faut sur ce point rappeler que l’histoire dans sa dimension problématique et synthétique se distingue en plusieurs points des « abus » potentiels de la mémoire, à suivre Tzvetan Todorov.


Dans le manuel de Première de Malet-Isaac de 1961, l’accent est porté sur l’aspect juridique de la réforme (les relations diplomatiques avec le Saint-Siège et les relations entre l’État et l’Église de France). On y évoque aussi les autres religions. Le manuel Hachette de 3e du programme de 1969 se concentre sur la laïcisation de l’État et la sécularisation de la société française : « Un an plus tard, les Chambres votèrent la loi de séparation de l’Église et de l’État (décembre 1905). Désormais l’Église de France cessa d’avoir un caractère officiel », peut-on y lire.

Le Nathan du programme de 2002 insiste sur une cause/conséquence, la « politique anticléricale » qui aurait entraîné la « séparation », et rappelle la dimension conflictuelle de l’application de la loi de séparation des églises et de l’État. Dans le chapitre sur l’enracinement de la culture républicaine, les auteurs du Magnard des programmes de 2010 affirment que l’anticléricalisme fait partie du socle républicain :

« Le principe de laïcité vient compléter les principales valeurs du régime. La République se pose en effet comme une « contre-culture » de la tradition catholique et du conservatisme. Ainsi, l’anticléricalisme apparaît comme un fondement majeur qui trouvera son aboutissement dans la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905. »

Le projet de programme de Première en cours, dans les points de passage et d’ouverture, envisage d’évoquer les débats et la mise en œuvre de la loi de séparation.

Une sédimentation en cinq temps

« 1905 » peut donc être considéré comme un ensemble de faits historiques et de mémoires. La dimension mémorielle reste aujourd’hui forte, elle a même édulcoré les caractères historiques propres de la loi de séparation. Il convient d’en rappeler les principaux éléments : la séparation fut d’abord un acte parlementaire fondamental dans un contexte de tensions récurrentes sur le devenir de la République (affaire Dreyfus) et de rupture diplomatique avant le Saint-Siège.

C’est donc une loi qui sépara surtout l’État et l’Église catholique (on peut observer aujourd’hui cette dimension avec le projet présidentiel de réviser la loi de 1905 pour mieux l’adapter à la situation de l’Islam), mais cette dernière s’en est emparée pour se libérer notamment des contraintes publiques. En outre, il n’y a pas une, mais des lois de séparation – un règlement pour l’Algérie en 1906, et une application pour certaines autres parties de l’empire colonial en 1911. « 1905 » est en quelque sorte un monument, un « lieu de mémoire » (Pierre Nora).

Fortes de cette centralité, les mémoires de 1905 se sont progressivement sédimentées en cinq principaux temps. Le premier fut celui de la « guerre civile ». Après plusieurs campagnes d’oppositions, alors que se poursuivait la laïcisation des établissements publics, des catholiques intransigeants déclenchèrent, de 1908 à 1913, la seconde querelle des manuels scolaires. Les évêques interdirent alors l’usage de douze manuels scolaires en vue de signifier une opposition au pacifisme et à la morale scientifique.

Succède à cette séquence assez fratricide celle de l’« Union sacrée » de la Première Guerre mondiale et de ses suites immédiates, avant le retour de la conflictualité sur la question laïque au mitan des années 1920. Puis on assiste à la progressive constitutionnalisation du principe, avant un dernier temps des « retours » (Marcel GauchetJean Baubérot) qui est aussi celui du religieux, dont certains segments ne sont pas favorables au pluralisme et à la laïcité.

Dans ce contexte politique, sociétal et culturel nouveau, on constate une polyphonie des mémoires de 1905 à l’École. Elles forment plusieurs strates : la mémoire de chaque élève avec une transmission familiale plus ou moins établie, la mémoire de l’enseignant, des mémoires communautaires (ou pseudo-communautaires mais qui ont une incidence sur l’identité de l’élève en construction et son rapport au groupe).

Un « devoir d’intelligence »

Ainsi, la mémoire de 1905 fut souvent par le passé une mémoire conflictuelle. Sa discussion a justifié une mémoire de la pacification, notamment par l’inclusion. L’École s’est emparée de cette dynamique. Il en ressort de grands enjeux dont le premier est la poursuite de la construction d’une mémoire de la République. Les enseignants doivent notamment modérer la sédimentation mémorielle encore en cours.

Cette opération se réalise, deuxièmement, au regard d’une exigence inclusive. Elle impose, troisièmement, un « devoir d’intelligence » (Jean‑Pierre Rioux, 2002), spécialement dans l’appréhension des faits religieux et de leur histoire, dans la découverte de l’ancienne morale laïque, dans l’apprentissage de la gouvernance pluraliste et l’éveil didactique sur la possibilité d’une conflictualité en démocratie.

Les enseignants et leurs élèves ne doivent pas s’interdire, notamment au lycée, de questionner la pertinence d’une modification de ce legs historique, d’oser les comparaisons à d’autres échelles ; et de ne pas isoler ce principe d’autres liés à la laïcité dans l’histoire : la liberté, l’égalité, la fraternité. Les historiens doivent aussi rappeler que la politique laïque fut souvent associée à la question sociale et pensée en fonction du rayonnement de la France à l’étranger.

Pour ce faire, les maîtres ont aujourd’hui de nombreux outils comme le site Génération laïcité qui apporte des réponses concrètes aux questions que les collégiens se posent sur la laïcité ; mais aussi des ressources nationales (site Eduscol) et plusieurs ressources académiques comme en témoigne l’actualisation récente de la page du parcours citoyen de l’Académie de Clermont.

En conclusion, pour sortir de la mémoire conflictuelle, il convient de prôner une pédagogie altruiste de 1905. Elle passe par une appropriation sereine du sujet qui permettra d’en tirer de grands bénéfices. Elle impose aussi une bonne formation en matière d’histoire politique et des faits religieux. Pour plagier Pouchkine, c’est enfin assumer « l’incarnat subi » sur le visage de Marianne, de connaître les victoires, les défaites et les erreurs de la laïcité « à la française ». C’est finalement privilégier une mémoire efficiente de la conflictualité de 1905 : l’école peut de ce point de vue devenir un véritable « lieu de mémoire » d’une séparation désormais inclusive

Publié par Dominique Manga ( source The Conversation ) dans 

Auteur

Chargé d'enseignement en histoire contemporaine, Université Clermont Auvergne (UCA

Laïcité alsacienne

Le gouvernement Barnier dominé par les économistes et les diplômés d’écoles de commerce

 


                                 


Au sein du gouvernement Barnier qui compte 39 ministres, 16 sont économistes, 14 sont passés par une école de commerce. Cette proportion, inédite, est-elle le signe d’une confusion entre sphère publique et sphère privée, voire d’une privatisation de l’État ?


Jamais un gouvernement n’avait compté en son sein autant d’économistes et de diplômés d’écoles de commerce. Sur les 39 ministres et secrétaires d’État du gouvernement Barnier, 16 appartiennent à la première catégorie et 14 à la seconde. C’est Luc Rouban, chercheur au CEVIPOF (le Centre de Recherche de Sciences Po) qui a mis en lumière ce phénomène en comparant la composition du nouveau gouvernement (41 % d’économistes, 36 % de diplômés d’école de commerce) aux gouvernements Fillon (23 % d’économistes, 6 % de diplômés d’écoles de commerce) et Philippe (respectivement 21 % et 13 %).

Si l’on analyse tous les gouvernements, du second gouvernement Philippe en remontant jusqu’au gouvernement Jospin, ce contraste est encore plus marqué. Sur cette période, les parcours prédominants des ministres étaient droit et sciences politiques (32 %), Sciences Po Paris (30 %) et l’ENA (19 %). Les sciences économiques et de gestion représentaient seulement 10 % des profils et les écoles de commerce 9 %. Avec 41 % d’économistes et 36 % de diplômés d’écoles de commerce, le gouvernement Barnier se distingue donc par une augmentation notable de ces profils. Comment expliquer et interpréter une telle évolution ?

Une évolution portée par Emmanuel Macron ?

Dès le début de son aventure politique et surtout présidentielle, Emmanuel Macron va apparaître comme un « politicien manager » et afficher un positionnement pro-entreprise qui va se concrétiser par la mise en avant des start-up ou la mise en place d’une fiscalité favorisant l’investissement financier                                                                                             

En plus d’une hyper-présidentialisation pouvant donner l’image d’un « grand patron » régnant sur son entreprise, ses mandats vont être marqués par des pratiques inspirées du monde des affaires : organisation de séminaires de team-building, recours aux cabinets de conseils privés, mise de côté des personnes n’atteignant pas leurs objectifs.

La présence accrue de diplômés d’études économiques et d’écoles de commerce dans le gouvernement semble s’inscrire naturellement dans cette philosophie macroniste assimilant la gestion de l’État à celle d’une entreprise. Mais alors, pourquoi cette évolution n’est pas intervenue plus tôt, alors qu’Emmanuel Macron est au pouvoir depuis 2017 ?

L’influence de Michel Barnier

Malgré une image de serviteur de l’État et de représentant de la haute fonction publique, Michel Barnier possède un profil plus managérial que ne le laisse entendre sa réputation. Il est ainsi diplômé de l’ESCP Business School (Paris), l’une des trois plus prestigieuses écoles de commerce française. Au regard de sa formation et des recherches portant sur ce sujet, il a pu être naturellement enclin à choisir des profils proches du sien lors de la constitution de son équipe gouvernementale.

La présence de ces profils fait aussi écho à son étiquette politique de membre des Républicains et du poids important de la droite au sein de ce nouveau gouvernement. En moyenne, la proportion de diplômés d’écoles de commerce est 3 fois plus importante au sein des gouvernements de droite que dans ceux de gauche (12 % à droite et 4,2 % à gauche pour l’ensemble des gouvernements de 2000 à 2020).


Une tendance historique plus profonde

Mais au delà de l’influence du macronisme ou du profil de Michel Barnier, l’équilibre « sociologique » du nouveau gouvernement s’inscrit aussi dans une tendance historique plus profonde, et dans le contexte économique actuel.

Depuis les années 1980 et l’émergence du New Public Management (“nouvelle gestion publique”), de nombreuses réformes inspirées de la culture managériale du secteur privé ont été appliquées aux organisations publiques, y compris en France. Leur but ? Améliorer l’efficacité des structures en charge de missions d’intérêt général, comme les hôpitaux ou les écoles, en leur assignant des objectifs de performance. En dépit de limites et de résultats parfois mitigés, cette stratégie est allée de pair avec un contrôle accru des équilibres financiers et des performances économiques des services publics. L’augmentation de profils issus de formations en lien avec l’économie et la gestion symbolise l’avènement progressif de cette approche.

Dans le cas du gouvernement de Michel Barnier, qui préconise lui-même le renforcement d’une culture de l’évaluation dans l’administration, cette présence est probablement accentuée par l’urgence des problèmes de budget et de déficit auxquels la France fait face actuellement.

La valorisation croissante des formations privées

Au-delà de ces éléments, la composition du gouvernement Barnier traduit aussi une évolution de la perception des formations publiques et privées en France.

Si on prend le cas des écoles de commerce, leur présence dans les classements internationaux, comme celui du Financial Times, a augmenté la visibilité des plus prestigieuses d’entre elles. Dans le même temps, l’image de Sciences Po Paris était ternie par des problèmes de gouvernance et des tensions internes alors que les critiques dont faisait l’objet l’ENA aboutissaient, sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, à son remplacement par un institut dédié au service public.

Les exemples d’Arnaud Montebourg et de Marlène Schiappa, étudiants en école de commerce après leurs fonctions ministérielles, ainsi que le choix de ministres, notamment de l’Education nationale comme Pap Ndiaye ou Amélie Oudéa-Castera, d’inscrire leurs enfants dans le privé, ont aussi renforcé cette impression.

De ce point de vue, la sociologie du gouvernement Barnier reflète la valorisation par le personnel politique actuel des filières « d’excellence » privées au détriment des formations publiques et de l’université.

La question des relations entre secteur privé et services publics

Cette évolution signe-t-elle “la disparition d’une certaine culture de l’État” comme le redoute le politiste Luc Rouban ? Selon lui, l’augmentation des profils de type économiste et école de commerce montre que l’État et l’action politique se « privatisent ». L’action étatique perd de sa spécificité vis-à-vis de l’action privée dans la mesure où services publics et entreprises privées tendent à être gérés de la même façon. Il y voit un changement culturel et craint que la puissance publique se concentre désormais sur ses missions régaliennes et laisse de côté sa mission sociale. Si la question reste posée, ce glissement interroge en tous cas l’évolution des rapports entre services publics et secteur privé en France.


D’un côté, les difficultés financières et le manque de moyens alloués à la puissance publique poussent à la prise d’initiatives individuelles et ouvrent la porte à l’intervention d’acteurs « privés » dans le cadre de missions autrefois prises en charge par l’État.

De l’autre, les entreprises sont de plus en plus sollicitées pour jouer un rôle dans le bon fonctionnement de la société, comme en témoigne l’essor des concepts de parties prenantes, de responsabilité sociétale des entreprises ou d’entreprises à mission.

Au regard de l’intensité des défis sociaux et environnementaux actuels, le rapprochement et la coopération public/privé semblent donc nécessaires. Mais ceux-ci souffrent souvent d’une mauvaise connaissance et d’une compréhension limitée du secteur public par certains acteurs du secteur privé et de certaines personnes du secteur publics vis-à-vis du secteur privé. Les à-priori et les biais idéologiques associés à chacune des deux sphères constituent souvent des freins à leur coopération. Cette question demeurera stratégique bien au-delà des mandats d’Emmanuel Macron, de Michel Barnier et de la composition des prochains gouvernements.


Publié par DOMINIQUE MANGA  (source The Conversation) dans

 Auteur                                                                                                                   
    

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